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Etienne Nicolas.
Le 3 Juillet 1879 fut certainement jour de liesse au village du Cosquer, un double mariage y était célébré : celui de Louis Nicolas , âgé de 30ans qui épousait Marie-Mathurine Cadet âgée de 21 ans, nos arrières grands parents, mais également le mariage de Marie-Barbe la soeur de Louis qui âgée de 23 ans épousait Jean-Marie Lavolé.
Louis et Marie-Mathurine s’installèrent au Cosquer, sur la commune de Meslan, la ferme familiale des Nicolas.
Neuf mois après leur mariage , le 24 Mai 188o , à deux heures du matin, naissait leur premier enfant Étienne. Un premier fils, une bénédiction du ciel pour Louis et Marie-Mathurine. Leur second fils, Joseph, notre grand-père Jozeb, naîtra deux ans plus tard, le 27 septembre 1882.
Étienne est plus chétif et selon la tradition familiale , c'était «l'intellectuel», le savant» celui qui a appris à lire, à écrire. Régulièrement, il se rend au presbytère de Meslan et y apprend le latin avec le curé. Peut être se destine t' il à la prêtrise?
En 1900 Etienne a vingt ans et est convoqué à Lorient, matricule 2766, classe 1900, pour faire son service militaire. Il est exempté en 1901 pour «infantilisme» ce qui en jargon militaire de ce début du vingtième siècle indique non pas, comme aujourd'hui un déficit d'intelligence mais un taille trop petite.
A cette époque , au dessous de 1m53 aucun homme n'était reconnu bon pour faire un soldat. «Il y a une classe d'exemptés pour infantilisme dans laquelle on range tous ceux qui sont vraiment si courts qu'ils pourraient prêterà la risée.» Dans le registre de matricule du recrutement sur Lorient, il n’y a pas de description physique d’Étienne contrairement à ceux qui sont bons pour le service.
Le 1er Août 1944
Ce 1er août 1914, en milieu d'après-midi, le tocsin alerte les populations qui découvrent cette affiche « le président de la République, par décret, ordonne la mobilisation générale» que mettent en oeuvre les ministres de la Guerre et de la Marine (l'armée de l'air n’existe pas encore). L'affiche de mobilisation est placardée sur la porte de la gendarmerie s'il y en a une! Chaque réserviste sait, en consultant son livret individuel de mobilisation, le lieu et le jour auxquels il doit répondre à l'appel.
Pour Etienne comme pour Jozeb ce sera Lorient.
Étienne est rappelé à l'activité par décret de mobilisation du 1er Août 1914. Il est incorporé au 62 RI, le 24 Février 1915. Il participe à la bataille de la Somme. On peut suivre son douloureux chemin de guerre à travers des noms de ville comme: Ovillers, Avehuy, La Boisselle, Bouzincourt.................Le 19 Mai 915, son père, Louis Nicolas décède accidentellement Nul ne sait quand, comment et à quel moment Etienne et Jozeb ont appris la triste nouvelle.
Le 9 juin 1915, Étienne passe au 174 RI créé au début de l'année 1915 «Arrivée à 19h ,d'un second renfort de 614 hommes provenant de la 11ème région ( Morbihan, Finistère, Loire Atlantique et Vendée) et composé comme suit: 14 sergents, 16 caporaux et 584 soldats.»( Mémoire des hommes). Étienne fait probablement partie des 584 soldats qui viennent d'arriver. Après avoir combattu dans la Somme, le voici en Champagne, la ferme des Waques fait partie des lieux de combat du 174 régiment d'infanterie.
Le 21 Février 1916 commence la bataille de Verdun. Le 26 février «ordre est donné au régiment de se porter au fort de Souville et il y attend les ordres et bivouaque à un kilomètre de ce fort, dans les bois (mémoire des hommes février 1916).
Verdun est une bien jolie petite ville où est forcément passé Étienne en ce mois de Février 1916. Sans doute est-il arrivé par la «Voie Sacrée» qui reliait Verdun à Bar- Le- Duc et qui permettait d'envoyer sans discontinuer hommes et matériel sur le front. Tous les préposés à la grande boucherie sont passés par ici!
«Ils ne passeront pas» .
C'est la devise des poilus de Verdun.
Ils ne sont pas passés mais.....le prix en vies humaines fut terrible !
La route d'Etain à Verdun. C'est par cette route que passe le 174 Ri pour rejoindre le front ce 27 Février 1916. Le régiment doit occuper des positions à cheval sur la route Verdun- Etain, depuis la Batterie de Mardi Gras jusqu'à la Batterie d'Eix. Étienne passe près de cette batterie avec ses camarades quelques heures avant de mourir.
Dans la nuit du 28 Février commence la lutte pour le village de
Douaumont et pour libérer le fort attaqué et occupé par les allemands quelques jours plus tôt. « Durant la nuit, sur ordre du général Pétain, le 174 e RI monte en ligne au bois Feuillu. Il part ensuite à l'attaque et parvient à s'emparer de la ferme de
Souppleville et de la station d Eix-Abaucourt» (Mémoire des hommes.Aujourd'hui c'est un lieu paisible, presque beau si on arrivait à oublier que ce terrain bosselé, que cet endroit tout en creux
et en bosses à la pelouse bien rase
nous racontait une histoire de sang et de mort.La septième unité ,dont fait partie, Étienne est décimée. «Les blessés sont transportés sur un brancard ou roulés dans une toile de tente enfilée sur un bâton.» Ils sont nombreux. Ils affluent vers les petits postes de secours des bataillons,
creusés à même la terre, qui ont été aménagés un peu en arrière des premières lignes.». Sur un des lieux de combat, les soldats ont même dû abandonner les leurs, blessés et agonisants. (Mémoire des hommes journal de marche du 174 Ri 28
février 1916).
Etienne est mort des suites de ses blessures, le mercredi 29 Février 1916, dans l'ambulance 5 à Fléville dans la Meuse. Nul ne sait comment et par qui il a été secouru. Comme d'innombrables blessés, il a sans doute agonisé longtemps dans la boue de Verdun, avant d'être retrouvé. Il faisait froid cette nuit là, à
Verdun et dans la journée, avec le dégel, les tranchées s'étaient transformées en véritable bourbier.
Au soir du 28 Février , il est porté disparu comme de nombreux autres de son unité, dans le Journal de marche de son régiment.
'Mémoire des hommes. Journal de campagne du 174 RI Février 1916) Pour son régiment, Etienne est déclaré mort le 29 Février 1916. Marie- Mathurine a dû attendre pendant sans doute quelques mois avant que la nouvelle ne parvienne à la mairie de Meslan à moins qu'un compagnon de misère ne lui ai écrit pour raconter cette triste fin. . Sur un des documents , il est noté «avis officiel du 6 Juin 1916». Le scénario est à présent bien connu, grâce aux films et aux différents témoignages.Un jour, Marie-Mathurine a vu arriver au village le maire de Meslan peut être accompagné du curé qui connaissait si bien Étienne. A t elle hurlé? S'est elle raidie de souffrance? Nul ne le saura jamais. Elle a rejoint le lourd cortège des mères brisées
par cette guerre. Quelques monuments aux morts en Bretagne représente cette douleur des pères et mères devant le corps de leur enfant celui de Baud entre autres.Etienne repose, pour toujours, auprès de ses camarades à la Nécropole nationale de Buzy Darmont dans la Meuse, non loin de Douaumont, un petit cimetière en bordure de route, un comme il y en beaucoup autour de Verdun.Après la guerre, nul n'a réclamé son corps. Trop compliqué, trop cher sans doute pour de simples paysans ......et le gouvernement français incitait très fortement les familles a laissé leurs morts reposés auprès de leurs compagnons de combat. Impossible, en fait, de rendre aux familles, tous ces corps déchiquetés, inhumés à la hâte près des
lieux de bataille.Les petites croix blanches sont alignées les unes à côté des autres et dos à dos. Le drapeau français flotte …..........et il pleut et je suis venue pour te retrouver
J'erre avec Youn en parcourant chaque allée, en silence et le coeur serré. En cette fin d'après midi, nous sommes seuls dans le cimetière. Je cherche la tombe 853. Et soudain, elle est là devant moi. ….... petite croix blanche au milieu de trois
mille autres croix blanches. Dessus est écrit ton nom «Étienne Nicolas».Je m'agenouille et je ne sais plus très bien si ce sont des larmes ou de la pluie qui coulent sur mon visage.
«Bonjour Tonton.
Cent années ont passé et je t'apporte un petit message d'amour de notre pays breton et de toute la famille qui aujourd'hui se souvient.»
A Meslan, au pays, ton nom est inscrit sur le monument aux morts, juste devant cette église que tu connaissais si bien!
Marie Pierre Giquel
votre commentaire -
A toi Maman
Qui est partie avant que je ne termine cette histoire
Que tu m’as aidée à écrire.
Avec tout mon amour.
Marie Pierre
Histoire d'une vie
De
Marie Pierre Giquel
Joseph Nicolas (1882- 1967)
Notre Grand père Jozeb
(prononcer Jojeub).
-1-
Une enfance au village du Cosquer en Meslan.
A la sortie du bourg de Meslan, une jolie petite route ombragée descend doucement jusqu' au village du Cosquer. Quelques maisons semblent y sommeiller dans une ambiance paisible et un décor bucolique.
La famille Nicolas n’y a pas laissé de traces et nul ne se souvient de ceux qui vécurent là jusqu'à la première moitié du vingtième siècle. C'est pourtant dans ce village du Cosquer que naquit, le 3 mai 1849, Louis Nicolas. Son père, Joachim, venait de Guilligomarc'h, petite bourgade du Finistère située seulement à quelques kilomètres de Meslan où il était né en 1812. Après son mariage avec Perrine Bregardis, le 7 Janvier 1841, Joachim s'installa au Cosquer en Meslan et y fonda une famille.
Exception faite de Joachim, dont le père, Joseph Nicolas, épousa en 1804, Perrine Losbec, une fille de Guilligomarc'h, la famille Nicolas est totalement originaire de Meslan. Le premier Nicolas retrouvé dans les registres d'état civil, est Louis Nicolas, né autour de 1641 et époux de Jeanne Le Bourdiec. Louis décédera en 1711 et Jeanne en 1697 à Meslan. De leur union naîtra Yves, le 10-09-1694. De nombreux membres de la famille Nicolas, ainsi que leurs épouses, sont nés et ont vécu au Cosquer.
Une tradition familiale raconte que Joachim, notre arrière- arrière-grand-père, était très grand avec de longs cheveux blonds. Il était très fier et se tenait bien droit quand il entrait dans l'église de Meslan. Un soir, revenant de quelque foire aux alentours et sans doute, un peu fatigué, il fut attaqué par les loups dans les bois de Boblaye. C'est son fils, Louis qui est venu à son secours bien qu'étant beaucoup moins grand, moins fort et moins fier. « On a toujours besoin d'un plus petit que soi » disait Jean De La fontaine.
Le 3 Juillet 1879 fut certainement jour de liesse au village du Cosquer, un double mariage y était célébré : celui de Louis Nicolas, âgé de 30 ans qui épousait Marie-Mathurine Cadet âgée de 21 ans, nos arrières grands parents, mais également le mariage de Marie-Barbe la sœur de Louis qui âgée de 23 ans épousait Jean-Marie Lavolé.
Les mamans de Louis et Marie-Mathurine, nos arrières grands-mères : Perrine Bregardis veuve de Joachim Nicolas et Marie-Mathurine Le Bris, veuve de Joseph Cadet étaient toutes les deux « présentes et consentantes ». Tous étaient de Meslan et la cérémonie eut lieu dans l'église paroissiale.
Devant cet autel,
Nos arrières grands parents
Louis et Marie-Mathurin se sont dit oui.
Cette photo prise en 1921 correspond à ce que grand père a connu. Le cimetière y est encore autour de l'église alors qu'aujourd'hui il est situé un peu à l’extérieur du bourg., au bout d’un joli petit chemin qui part de l’église.
Nos ancêtres, nés au dix-septième siècle furent, eux enterrés dans l'église comme c'était la coutume
C'est dans cette église que la plupart de nos aïeux Nicolas ont été baptisés, se sont mariés, et ont été enterrés.
Acte de mariage de Louis Nicolas avec Marie-Mathurine Cadet
Et de sa sœur
Marie-Barbe Nicolas avec Jean-Marie Lavolé.
A leur tour, Louis et Marie-Mathurine, nos arrières grands parents, s’installèrent au Cosquer et reprirent les activités de la ferme.
Perrine Bregardis, la maman de Louis, vivait avec ou du moins près du jeune couple et s'occupait sans doute des petits quand Marie-Mathurine était au champ. Grand père Jozeb gardera, toute sa vie, et jusqu'à sa mort, une tendresse indéfectible pour cette grande mère qui disparut en 1894 alors qu'il avait 12 ans.
A la fin de sa vie, quand tout se mélangeait dans sa pauvre tête, Jozeb se promenait au Patro en serrant sur son cœur la photo de son mariage avec mémée Barbe et il disait « Regarde, elle est belle Perrine » !
Neuf mois après leur mariage, le 24 Mai 188o, à deux heures du matin, naissait leur premier enfant Étienne. Un premier fils, une bénédiction du ciel pour Louis et Marie-Mathurine.
Acte de naissance de Étienne Nicolas
Les naissances vont ensuite se succéder et rythmer la vie de la famille Nicolas, au Cosquer. Deux ans plus tard, c'est Jozeb qui fait sa venue dans ce monde, le 27 septembre 1882 à douze heures du soir.
Acte de naissance de Joseph Marie Nicolas.
Quand il parlait de sa date d'anniversaire Jozeb prétendait que c'était une erreur et qu'en fait il était né le 28 septembre comme sa fille Bernadette, il est vrai qu’il était minuit…une minute avant ou après !
Le baptistère de l’église de Meslan. Témoin du baptême de tous nos ancêtres Nicolas…………du moins ceux qui sont nés à Meslan. Jozeb y fut baptisé, sans doute, le lendemain de sa naissance.
Au fil des années naîtront : Marie-Mathurine le 15 Mai 1885 à 1h du matin, leur première fille, puis suivront : Marie-Jeanne le 16 Janvier 1890 à 7h du soir ( la Grand-mère de Marie, Dette et Madeleine Péron ), Jean-Louis le 4 Janvier 1896 à 3h du soir et enfin Mathurin né le 2 avril 1901. Jozeb est parrain de ce petit Mathurin qu'il appellera toujours « le bébé ». Dix-neuf ans les séparent. Mathurin sera aussi le parrain de Bernadette, la fille cadette de Jozeb.
Marie-Mathurine, souvent enceinte, souvent maman, servit aussi de nourrice aux enfants ou tout au moins à un des enfants des châtelains de Boblaye. Ce château de Boblaye se situe pas très loin du village de Cosquer et certains membres de la famille Nicolas s'y étaient installés comme métayers et y travaillaient les terres. On l'aperçoit entre les arbres sur la petite route pas loin des Roches du Diable.
Le château de Boblaye
à l'époque où la famille Nicolas vivait au Cosquer
Les enfants grandissent au Cosquer. Sans doute une enfance heureuse, semblable à celle des petits paysans de l'époque. Sans être aisés, Louis et Marie-Mathurine vivent bien des produits de la ferme. Très jeunes les enfants participent aux travaux des champs et aux soins des animaux : poules, cochons, vaches. J’ignore si la terre leur appartient ou s'ils sont en métayage.
Jozeb court dans les champs, cherche les nids des oiseaux dans les haies. Il a toujours été très proche de la nature. Quelquefois, sans doute, ses explorations le mènent jusqu'aux Roches du Diable, pas bien loin à travers champs et bois. Que d'aventures à vivre près de l’Ellé tumultueuse, que d'escalades sur les chaos de rochers et une petite prière en passant près du calvaire de Bonigeard.
Roches du Diable
Calvaire de Bonigeard.
Étienne est plus chétif et selon les dires de maman, c'était « l’intellectuel », « le savant » celui qui a appris à lire, à écrire. Régulièrement, il se rend au presbytère de Meslan et y apprend le latin avec le curé. Peut-être se destine-t-il à la prêtrise ? Ce serait un grand honneur pour la famille Nicolas qui a éduqué ses enfants dans la foi des ancêtres « catholique et breton toujours ».En 1900, Etienne a vingt ans et est convoqué à Lorient, matricule 2766, classe 1900, pour faire son service militaire. Il est exempté en 1901 pour « infantilisme » ce qui en jargon militaire de ce début du vingtième siècle indique non pas, comme aujourd'hui un déficit d'intelligence mais une taille trop petite.
A cette époque, au-dessous de 1m53 aucun homme n'était reconnu bon pour faire un soldat. « Il y a une classe d'exemptés pour infantilisme dans laquelle on range tous ceux qui sont vraiment si courts qu'ils pourraient prêter à la risée. » Dans le registre de matricule du recrutement sur Lorient, il n’y a pas de description physique d’Étienne contrairement à ceux qui sont bons pour le service.
Bien sûr quand la guerre éclatera en 1914, sa taille ne sera plus un obstacle pour ravitailler en « viande fraîche » l'immense boucherie des tranchées de Verdun
Jozeb, lui n'a pas vraiment appris à lire et à écrire. Sans doute est-il allé quelques temps à l'école du village mais très vite il a préféré travailler à la ferme avec ses parents. Il savait signer son nom et aussi compter, indispensable pour un futur « maquignon » ! Il se présente au service militaire en 1902, l'année de ses vingt ans. Il y est inscrit au centre de Lorient sous le matricule 2353 (à la page 454). Il mesure 1m69 avec des yeux, cheveux et sourcils châtains, front étroit, yeux marrons, nez moyen, bouche grande, menton rond et visage ovale. Décrété « bon » pour le service, il est incorporé au 115 RI comme soldat de deuxième classe. On y loue aussi sa bonne conduite.
Une fois libéré de ses obligations militaires, il revient à la ferme du Cosquer. Il commence sans doute sa carrière de marchand de vaches et on peut supposer que cette période de sa vie ne fut pas malheureuse.
Très coquet, seule sa sœur, Marie-Jeanne, la grand -mère de Marie Le Barz, était habilitée à repasser ses pantalons. Il était « bel homme » et ne devait sans doute pas laisser le cœur des belles, indifférent !! Mais il ne semble guère pressé de se marier et en 1914, Jozeb a 32 ans et est toujours célibataire !
Le 9 avril 1907, l'aînée des filles, Marie-Mathurine, épouse Jean Marie Flegeo puis l'année suivante le 6 Février 1908 c'est au tour de Marie-Jeanne de se marier. Elle épouse son cousin germain, Vincent Péron, le fils de son oncle Jacques Péron et de sa tante Marie Nicolas, la sœur de Louis.
Le jeune couple s'installe au village de Rosguillou en Meslan. Des bébés nés de ces mariages viennent agrandir la famille. Louis Péron, le père de Marie Le Barz naît en 1908. Les mariages, les baptêmes, autant d’'occasions de se réunir et de faire la fête !!
Le temps passe doucement sur le Cosquer, au rythme des saisons, des travaux des champs, avec les joies et les peines au quotidien …......et puis........... Nous sommes le premier Août 1914.
« Le bonheur était dans les prés
Sur la lande, sur les rochers.
Le bonheur était dans les prés
Et tu grimpais et tu courais !
L'as-tu vu scintiller dans l'Ellé?
L'as-tu aimé ? L'as-tu touché ?
Le bonheur était dans les prés
et trop vite.....il est passé ! »
...
Et moi je mets mes pas dans tes pas
je te cherche sur les lieux de ton enfance
la rivière, les rochers,
tous ces chemins qui , un jour, t' ont vu passer.
-2-
Quand la vie bascule ….
Août 1914
Ce 1er août 1914, en milieu d'après-midi, le tocsin alerte les populations qui découvrent cette affiche « le président de la République, par décret, ordonne la mobilisation générale » que mettent en œuvre les ministres de la Guerre et de la Marine (l'armée de l'air n’existe pas encore). L'affiche de mobilisation est placardée sur la porte de la gendarmerie s’il y en a une ! Chaque réserviste sait, en consultant son livret individuel de mobilisation, le lieu et le jour auxquels il doit répondre à l'appel.
Pour Etienne comme pour Jozeb ce sera Lorient.
Après un mois de Juin et juillet pluvieux et frais, cette journée du 1 Août 1914 est chaude et ensoleillée et sans doute fait-il lourd comme souvent en Bretagne en cette fin d'après-midi. Les hommes et les femmes sont au champ et s'activent pour la moisson. Il ne s'agit pas de traîner car l'orage menace. Vers 16h, on entend le tocsin. Ce n'est pas un incendie, ça dure trop longtemps !!! Chacun se fige dans le champ !!
La guerre, on en parle depuis plusieurs mois et même si la télévision n’existe pas, ils savent ( avec retard, c'est vrai), que le monde ne va pas bien!.
Et puis les « prussiens » les boches comme ils disent, sont notre ennemi héréditaire. Ceux qui nous ont « volé » l'Alsace et la Lorraine en 70. On apprend aux enfants à chanter dans les écoles « Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine » Jaurès aurait peut-être pu empêcher la guerre mais il a été assassiné en Juillet !!! Les plus jeunes et les plus valides, les plus concernés aussi, ont dû courir jusqu'au bourg, les frères Nicolas sont de ceux-là, Étienne, Joseph et Jean-Louis qui a tout juste 18 ans.
Les gens sont là sur la place du bourg, devant la mairie.
Qui a lu l’affiche ? Le maire, le curé, l’instituteur ? Peut-être Étienne qui était si savant. Il fallait lire mais aussi traduire car seuls les notables parlaient et comprenaient bien le français, pour Jozeb, sa langue maternelle est le breton.
On a souvent décrit l'enthousiasme des jeunes gens à l'idée d'aller se confronter aux allemands. On a parlé de départ «la fleur au fusil ». Peut-être !! Les femmes s'essuient discrètement les yeux et sentent cette boule qui gonfle au fond de leur ventre, la peur qui ne les quittera plus pendant quatre longues années.
Etienne a 34 ans et Jozeb en a 32. Je pense qu'ils ont dû être contrariés d'abandonner la ferme et les travaux. Je ne suis pas sûre qu'ils en aient été très heureux. Les parents vieillissent, Louis a 65 ans et Marie-Mathurine 57.
Le travail ne manque pas et ils commencent à sentir le poids des années écoulées.
Heureusement Jean-Louis et Mathurin restent là avec leurs parents pour les aider à s'occuper de la ferme ! Louis et Marie-Mathurine voient partir leurs deux grands fils avec le cœur bien serré. La guerre de 1870 a laissé des traces dans les campagnes bretonnes. Les anciens n'ont pas oublié « l’armée de Bretagne et le camp de Conlie » et quand ils en parlent c'est avec beaucoup d'amertume. Gambetta est un héros pour les français......pas pour les bretons… !
Jozeb, comme son frère aîné Étienne, est rappelé sous les drapeaux. Si j'ai pu reconstituer le trajet d’Étienne j'ai eu beaucoup plus de mal à suivre celui de grand père Jozeb, tant les changements de régiment, de lieux sont fréquents tout au long du conflit. Il faut bien « boucher les trous » quand les pertes s’accumulent !!
Pendant que leurs deux fils partent au front pour se battre, la vie continue comme elle peut au Cosquer. Très vite les premiers morts dans la commune et ce qui devait être une guerre courte et facilement victorieuse s'avère bien plus difficile que prévue.
Les nouvelles doivent être rares au Cosquer Peut être Étienne correspond t’-il avec le curé de la paroisse et celui-ci vient-il, de temps en temps rassurer les parents. Jozeb, lui ne sait pas écrire et puis on n’est pas très « causeux » dans le monde paysan. De toute façon, la censure est omniprésente et à l'arrière on est loin de penser aux conditions horribles que subissent les poilus. Ont-ils d'ailleurs envie que leurs proches sachent ce qu'ils vivent ?
Les documents prouvent qu'en mai 1915, Etienne comme Jozeb ont rejoint leur régiment. Ce sera le 62 RI pour Etienne et le 72 RI pour Jozeb.
Ce mercredi 19 Mai 1915, Louis Nicolas quitte Le Cosquer et part livrer des fûts de cidre, comme-il le fait très souvent. Jean-Louis, son troisième fils est peut-être avec lui pour l’aider Les fûts sont chargés sur la charrette et en route pour la gare de Quimperlé. Étaient-ils mal arrimés ces lourds tonneaux, Louis a-t-il eu un moment d’inattention ? Au moment de décharger, un fût roule sur lui, écrasant le bas du ventre et les cuisses.
Je ne sais pas s'il est mort sur le coup ou en arrivant au Cosquer mais je peux imaginer ce retour au village : le blessé mourant couché dans la charrette. Le cheval qui avance lentement et les voisins, les amis qui se taisent pendant que Marie-Mathurine regarde sans comprendre ! Puis le cri qui jaillit, les enfants qui pleurent. Le malheur vient de s'inviter au Cosquer.
Où sont-ils ce 19 Mai 1915, Étienne et Jozeb ? Etienne se bat en Champagne et Jozeb lui est peut-être sur la Marne car en 1915 il fait partie du 72 RI qui participe à cette bataille.
-3-
EN SOUVENIR D'ETIENNE
Étienne est rappelé à l'activité par décret de mobilisation du 1er Août 1914. Il est incorporé au 62 RI, le 24 Février 1915. Il participe à la bataille de la Somme. On peut suivre son douloureux chemin de guerre à travers des noms de ville comme : Ovillers, Avehuy, La Boisselle, Bouzincourt................
Le 9 juin 1915, Étienne passe au 174 RI, créé au début de L’année 1915 « Arrivée à 19h, d’un second renfort de 614 hommes provenant de la 11ème région (Morbihan, Finistère, Loire Atlantique et Vendée) et composé comme suit : 14 sergents, 16 caporaux et 584 soldats. » (Mémoire des hommes). Étienne fait probablement partie des 584 soldats qui viennent d'arriver.
Après avoir combattu dans la Somme, le voici en Champagne, la ferme des Waques fait partie des lieux de combat du 174 régiment d'infanterie.
Le 21 Février 1916 commence la bataille de Verdun. Le 26 février « ordre est donné au régiment de se porter au fort de Souville et il y attend les ordres et bivouaque à un kilomètre de ce fort, dans les bois (mémoire des hommes février 1916).
Verdun est une bien jolie petite ville où est forcément passé Étienne en ce mois de Février 1916. Sans doute est-il arrivé par la « Voie Sacrée » qui reliait Verdun à Bar- Le- Duc et qui permettait d'envoyer sans discontinuer hommes et matériel sur le front. Tous les préposés à la grande boucherie sont passés par ici !
« Ils ne passeront pas ».
C’est la devise des poilus de Verdun.
Ils ne sont pas passés.
Mais le prix en vies humaines fut terrible !
La route d'Etain à Verdun. C'est par cette route que passe le 174 Ri pour rejoindre le front ce 27 Février1916.Le régiment doit occuper des positions à cheval sur la route Verdun- Etain, depuis la Batterie de Mardi Gras jusqu'à la Batterie d'Eix. Étienne passe près de cette batterie avec ses camarades quelques heures avant de mourir.
Dans la nuit du 28 Février commence la lutte pour le village de Douaumont et pour libérer le fort attaqué et occupé par les allemands quelques jours plus tôt.
« Durant la nuit, sur ordre du général Pétain, le 174 e RI monte en ligne au bois Feuillu. Il part ensuite à l'attaque et parvient à s'emparer de la ferme de Souppleville et de la station d Eix-Abaucourt » (Mémoire des hommes)
La septième unité dont fait partie Étienne est décimée. « Les blessés sont transportés sur un brancard ou roulés dans une toile de tente enfilée sur un bâton.» Ils sont nombreux. Ils affluent vers les petits postes de secours des bataillons, creusés à même la terre, qui ont été aménagés un peu en arrière des premières lignes. ». Sur un des lieux de combat, les soldats ont même dû abandonner les leurs, blessés et agonisants. (Mémoire des hommes journal de marche du 174 Ri, 28 février 1916)
Etienne est mort des suites de ses blessures, le mercredi 29 Février 1916, dans l'ambulance 5 à Fléville dans la Meuse. Nul ne sait comment et par qui il a été secouru. Comme d'innombrables blessés, il a sans doute agonisé longtemps dans la boue de Verdun, avant d'être retrouvé. Il faisait froid cette nuit-là, à Verdun et dans la journée, avec le dégel, les tranchées s'étaient transformées en véritable bourbier.
Au soir du 28 Février, il est porté disparu comme de nombreux autres de son unité, dans le Journal de marche de son régiment
'Mémoire des hommes.
Journal de campagne du 174 RI Février 1916)
Peinture de Mathurin Meheut
« les brancardiers » guerre 14-18
Pour son régiment, Etienne est déclaré mort le 29 Février 1916. Marie-Mathurine a dû attendre pendant sans doute quelques mois avant que la nouvelle ne parvienne à la mairie de Meslan à moins qu'un compagnon de misère ne lui ai écrit pour raconter cette triste fin. Sur un des documents, il est noté « avis officiel du 6 Juin 1916 ». Le scénario est à présent bien connu, grâce aux films et aux différents témoignages.
Un jour, Marie-Mathurine a vu arriver au village le maire de Meslan peut être accompagné du curé qui connaissait si bien Étienne. A-t-elle hurlé ? S'est-elle raidie de souffrance ? Nul ne le saura jamais.
Elle a rejoint le lourd cortège des mères brisées par cette guerre. Quelques monuments aux morts, en Bretagne, représentent cette douleur des pères et mères devant le corps de leur enfant, celui de Baud entre autres.
A Meslan,
Son nom est inscrit sur le monument aux morts,
juste devant cette église qu’il connaissait si bien
Etienne repose, pour toujours, auprès de ses camarades à la Nécropole nationale de Buzy Darmont dans la Meuse, non loin de Douaumont, un petit cimetière en bordure de route, un comme il y en beaucoup autour de Verdun.Cimetière de Buzy Darmont pas très loin de Douaumont
Après la guerre nul n'a réclamé son corps. Trop compliqué, trop cher sans doute pour de simples paysans ......et le gouvernement français incitait très fortement les familles à laisser leurs morts reposer, auprès de leurs compagnons de combat.
Les petites croix blanches sont alignées les unes à côté des autres et dos à dos. Le drapeau français flotte …..........et il pleut. Je suis venue pour te retrouver.
J’erre avec Youn en parcourant chaque allée, en silence et le cœur serré. En cette fin d’après-midi, nous sommes seuls dans le cimetière. Je cherche la tombe 853. Et soudain, elle est là, devant moi. ….... Petite croix blanche au milieu de trois mille autres croix blanches.
Dessus est écrit ton nom « Étienne Nicolas ». Je m'agenouille et je ne sais plus très bien si ce sont des larmes ou de la pluie qui coulent sur mon visage.
« Bonjour Tonton.
Cent années ont passées
Je t'apporte un petit message d’amour de notre pays breton
et de toute la famille
qui aujourd'hui se souvient.»
-5-
Le chemin de bataille de Jozeb
J'ai essayé à l'aide de documents retrouvés sur le net, de reconstituer le parcours de Jozeb pendant cette guerre. Il participe à la guerre contre l’Allemagne du 6 Aout 1914 au 6 Juillet 1917. Il est d'abord affecté au 72 RI et doit rejoindre Lorient où il reçoit son paquetage ;
Arrivée à Lorient 1914 (site armée Lorient 1914-1918)
« Au début du conflit, les magasins d’habillement sont dévalisés et une pénurie de drap de laine qui sert à la confection des vêtements militaires survient. L’évolution de l’uniforme des armées françaises est caractérisée par deux phases durant la Première Guerre mondiale. De la guerre de mouvement au début de la guerre de position, le soldat français est habillé et équipé de manière vétuste et ancienne »
« L’uniforme est très visible et s’avère non adapté aux conditions climatiques. Le soldat est chaussé de brodequins cloutés recouverts de jambières (puis de bandes molletières) et vêtu d’une grande tunique bleue et d’un pantalon rouge garance. Il est coiffé d’un képi « rouge » recouvert d’une coiffe bleue. L’armement et l’équipement sont inconfortables. L’uniforme « bleu-horizon », bien que produit dès 1914, n’arrive qu’avec la guerre de tranchées, il est mieux adapté et plus commun. Les officiers sont équipés en décembre 1914, les soldats en janvier 1915.
« Le soldat reçoit à la mobilisation un sac d’environ 28 à 30 kilos comprenant : une gamelle, un quart, des couverts, un bidon de 1 litre, une lanterne pliante, un nécessaire à couture, un caleçon, une chemise, une cravate, un mouchoir, une ceinture, un ouvre-boite, un rasoir, une boîte de balles... Il est équipé d’un fusil Lebel et de sa cartouchière ainsi que d'une épée baïonnette à triple arête ». C’est l ce que l’on nomme « le Barda ».
Le 72 RI participe à la bataille de la Marne et j'ai quelques vagues souvenirs de discussions très mouvementées entre mes deux grands-pères, chacun revendiquant une souffrance et des lieux de combats terribles. Malheureusement, les deux avaient raison !!
«Le 20 mars 1915: Constitution du 411e Régiment d'Infanterie (à trois bataillons) à la mairie de Plouharnel-Carnac avec des éléments venus des dépôts de la 11e région militaire.»
En Janvier 1916, il est à Beauséjour « une fumée épaisse et noirâtre nous fait croire d'abord à l'emploi des gaz asphyxiants : nous voyons peu à peu qu'il s'agit d'une attaque au lance-flammes ».(Mémoire d'un poilu du 411 RI) .
BEAUSÉJOUR (Janvier - Avril 1916) Ce secteur nous surprend. La plaine dénudée et aride s'étend à perte de vue, couverte de nombreux trous d'obus ; d'interminables boyaux creusés dans la craie blanche, remplis d'eau et d'une boue gluante, gênant la marche, rendent la relève pénible ...
Les rafales d'artillerie se succèdent avec rapidité sur toutes nos positions, surprenant nos agents de liaison, nos coureurs, nos corvées. Les pluies diluviennes qui sent tombées ont, avec le bombardement, ébranlé nos abris qui ensevelissent sous leurs débris quelques-uns des nôtres. L'ennemi s'acharne sur nos boyaux qui restent impraticables le jour. Tout passant sert de cible à de nombreuses mitrailleuses qui le prennent d'enfilade sous leurs feux ....
Pendant ces trois journées (11-12-13 janvier), nos pertes ont été lourdes : 4 officiers tués, 5 blessés ; 54 sous-officiers, caporaux et soldats tués, 263 disparus, plus de 250 blessés. Une section de mitrailleuses complète avec toutes ses munitions a été détruite. Occupant le fortin des premières lignes, quelquefois les positions de réserve, nous restons dans le secteur jusqu’au 15 avril, reprenant de temps en temps quelques jours de repos à proximité des lignes, occupés à la confection des travaux ou de défenses portatives pour nos tranchées.
Le 15, le régiment entier est relevé, et, nous cantonnons à Hans où, deux mois plus tôt, nous étions au repos. Aux premiers jours de mai, des camions nous portent à Changny près de Vitry-le-François, calme et douce campagne où nous goûterons le bon repos réparateur dont nous avons besoin.» Témoignage de Corentin Guillou, poilu breton compatriote et compagnon de misère de Jozeb au 411 RI
Jozeb est hospitalisé une première fois à Beauséjour en janvier 1916 pour « bronchite ». Dans les différents témoignages que j'ai pu lire, le diagnostic de « bronchite » signifiait qu'il avait été gazé. Il aura d'ailleurs une pension d'invalidité à ce sujet.
Après un repos à Vitry Le François, le 411 RI rejoint Verdun…la côte 304, le ravin de la Mort, le Mort-Homme. Tant de lieux de sinistre mémoire et qui oppressent encore les visiteurs qui s'y rendent et où chaque espace garde cent ans après les traces de violence et de mort. Impossible de retrouver tous les lieux de bataille.
Le Mort homme aujourd'hui.
La nature a repris ses droits
sans jamais masquer
la terre bouleversée
En Mai 1917, son régiment est toujours dans le secteur de Verdun mais je ne sais pas si Jozeb y est toujours. Le 17 mai 1917 il est porté comme déserteur. C'est l'époque des grandes mutineries et des « fusillés » pour l'exemple, en particulier dans l'Aisne, au Chemin des dames. De violents combats ont lieu en Mai autour de Verdun et je pense que les poilus avaient sans doute beaucoup de difficultés à retrouver leur compagnie au sein des combats. Cette mention apparaît sur son livret militaire mais sans commentaire et de toute évidence il n'y eut aucune suite.
Le 17 juillet 1917, il est hospitalisé une seconde fois, toujours pour « bronchite ». Il est à Vorcel en Belgique ce qui semble indiqué qu'il a changé de régiment ce qui est très fréquent semble-t-il. Je crois que la guerre se termine pour lui autour de cette date, Il est réformé, avec plus tard, une pension d'invalidité de trente pour cent en lien avec ses problèmes pulmonaires.
Il rentre au Cosquer à la fin du conflit, ou sans doute plusieurs mois après car la démobilisation a été longue et semble-t-il compliquée pour tous les poilus.
Ce retour a dû être en même temps un énorme soulagement bien sûr mais aussi terriblement douloureux. Il ne se remettra jamais totalement de cette guerre. Elle le hantera toute sa vie et viendra souvent peupler les cauchemars de ses nuits.
Étienne, lui, ne reviendra pas et Jozeb se retrouve en charge de ses frères et sœurs et soutien indéfectible de Marie-Mathurine.
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Notre Grand-mère
Barbe Marie-Françoise Caurant
Le premier ancêtre de la lignée Caurant, que j'ai retrouvé, est né le 4 juillet 1789 au village de Restamblay au Faouët puis par les mariages, la famille Caurant s'est installée à Langonnet.
Une petite curiosité familiale : Au moment du mariage des parents de notre arrière-grand-père François : Yves Caurant et Marie-Catherine Courant, des recherches avoient été faites par l'état civil pour s'assurer qu'ils étaient bien de familles différentes, les deux noms Caurant et Courant pouvant prêter à confusion C'était une question qui intriguait maman qui pensait que l'on disait soit Caurant soit Courant.
François Caurant , naît à Langonnet le 23 Mars 1870 et y vit avec ses parents, Yves Caurant et Marie-Catherine Courant jusque son mariage avec une faouëtaise pure souche , le 13 Novembre 1894 , notre arrière-grand-mère Barbe Le Bomin.
Les Le Bomin vivent au Faouët, au moins depuis le début du 18 IIème siècle et sans doute également au 17 IIème. L’ancêtre de la famille, Jean Le Bomin, y est né le 20 Juillet 1703 et ses parents sont également décédés au Faouët.
Une longue lignée de Jean et Paul Le Bomin pour arriver à notre arrière-grand-mère Barbe Le Bomin, fille de Michel Le Bomin et d'Anne-Marie Le Corre (c’était un remariage, Michel était veuf).
Dans les registres d'état civil du Faouët, on retrouve plusieurs membres de la famille Le Bomin. Vu les prénoms donnés aux enfants à l'époque de la révolution française, on peut légitimement penser qu’ils adhéraient aux idées révolutionnaires de l'époque. Maman disait d'ailleurs que la famille Bomin étaient des anticléricaux, des « rouges » quoi !!
Après leur mariage, François Caurant et Barbe Le Bomin s’installent à Restalgon. Leur maison existe toujours au bord de la route et est toujours habitée. Derrière la maison, le verger n'existe plus vraiment même si on en voit encore des traces. La petite Bernadette gardera un souvenir émerveillé des bonnes pommes qu'elle mangeait dans le verger de ses grands-parents. François est cabaretier et Barbe ménagère. En face de chez eux, se trouve la carrière d'extraction de sable. Nul doute que le café doit bien marcher car le travail à la carrière est dur et donne soif !!
Notre grand-mère Barbe Marie Françoise y est née le 1 septembre 1895 et fut déclarée le 3 de ce même mois à la mairie du Faouët.
La maison se trouve en bordure de route
A Restalgon
Acte de naissance de Barbe Caurant
Elle est l’aînée de leurs deux enfants. Son frère, Louis Marie naîtra quelques années plus tard, le 14 Octobre 1904. Barbe a 9 ans et est ravie d'avoir un petit frère dont elle s'occupe souvent. Un lien très fort unira la grande sœur à son petit frère. Il semblerait que l'enfance de Barbe et de son frère fut une enfance heureuse. Notre grand-mère est une petite fille heureuse, dégourdie et qui n'a pas froid aux yeux. La vie dans un café apprend à se défendre et Barbe n'a pas sa langue dans sa poche
En 1905, fut votée la séparation de l'église et de l'état, ce fut la révolution dans les campagnes bretonnes. Le 11 février 1907, les ursulines furent chassées du couvent du Faouët, au grand désarroi et à la colère des faouëtais qui se mobilisèrent pour les défendre. Les paysans armés de fourches vinrent se battre contre les gendarmes. Notre grand-mère, du haut de ses douze ans étaient parmi les manifestants et la voilà qui reconnaît, parmi les gendarmes, un de ses cousins (sans doute un Le Bomin). Elle se jette sur lui et lui assène quelques coups de pieds bien sentis. Je ne sais pas comment l'histoire se termine !!!!! Son grand cousin n'eut sans doute pas grand mal à maîtriser la jeune furie.
Les religieuses quant à elles, continuèrent leur enseignement aux jeunes filles du Faouët à l’école Notre Dame, rue Jean-Corentin Carré !!! J’espère que vous avez tous compris où se situaient cette école !!!!!Notre Patronage !! Notre grand-père Pierre Giquel m’a raconté qu’il y avait été à l’école !
Je sais peu de choses concernant notre grand-mère Barbe, si ce n'est qu'elle portait une bague avec une tête de mort et comme j'en portais moi-même une lorsque j'avais dix-huit ans !!!!!!ça crée des liens !!! Elle aimait coudre et faisait du crochet.
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Les années heureuses
Comment Jozeb a t’il rencontré notre grand-mère Barbe Caurant? Jozeb avait fréquenté une jeune fille avant de partir à la guerre mais au retour, il est tombé amoureux de Barbe, cette femme jeune, belle et énergique. Peut-être l’a-t-il remarquée lors d'une foire au Faouët où il allait régulièrement vendre ses vaches.
Il avait trente-neuf ans et elle vingt-six quand ils se marièrent au Faouët le 4 Février 1921. Ils venaient de milieux bien différents mais la guerre était passée par là et...............ils étaient bien beaux tous les deux.
La famille Nicolas n'est pas forcément ravie de ce mariage. Jozeb, célibataire, veille sur sa mère, s'occupe de la ferme et est le tonton chéri de certaines de ses nièces qui voient d’un bien mauvais œil cette étrangère débarquer dans leur vie :
L'église Notre dame de l'Assomption
Elle a accompagné les baptêmes, les mariages, les deuils
tout au long de la vie de nos grands parents
Après leur mariage, Jozeb et Barbe s’installent dans une petite maison pas très loin de celle des parents de Barbe. La petite maison est toujours là. On la reconnaît aisément avec son panneau « bijouterie Murat ». Longtemps abandonnée, elle est actuellement en cours de restauration.
Marie, leur fille aînée y naît le 19 Novembre 1921, puis viennent les jumeaux Pierre et Joseph le 27 mai 1924.
Je ne sais pas à quel moment, Jozeb et Barbe déménagent à Krog Morvan. Le 28 septembre 1928, à la naissance de leur quatrième enfant, Bernadette, ils sont toujours dans la petite maison de Restalgon. Notre arrière-grand-mère, Barbe Le Bomin accompagne le petit Pierre qui veut voir sa nouvelle petite sœur. Il est en extase devant elle et toute leur vie, il y aura toujours un lien très fort entre le grand frère et sa petite sœur.
La petite dernière, Joséphine nait le 18 mars 1931. L'accouchement se présente mal et Barbe mettra sa petite fille au monde, à l’hôpital de Bodélio à Lorient. (Le terrain ayant servi à la construction de Bodelio appartenait autrefois à la famille Nicolas). Elle restera une enfant fragile et notre grand-mère ne se remettra jamais tout à fait de cet accouchement.
C'est sans doute après cette naissance que Jozeb et Barbe partent vivre à Krog Morvan.
En 1931, Louis Marie Caurant , le petit frère de Barbe épouse Marguerite Le Rouzic. Elle est de Lanvénégen et de toute évidence, le courant ne passe pas bien entre les deux belles sœurs.
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Krog Morvan
Un peu d'histoire autour du nom Krog Morvan. En breton, Krog Morvan signifie : la butte de Morvan. Tout le pays de Le Faouët, Priziac, Meslan mais aussi Guémenée, Lanvénégen, Guiscriff font partie du fief du roi Morvan (Morvan lez Breizh, Morvan soutien de Bretagne) dont le château ou plutôt la butte féodale se situe à Langonnet (Menez Morvan). La mémoire collective a gardé trace de ce roi (ou sans doute devrait-on dire ce chef de clan) qui tint tête à Charlemagne (lequel n'a jamais réussi à conquérir la Bretagne) puis au fils de celui-ci, Louis le Pieux. Ce dernier finira par tuer Morvan en 818 au cours d’une bataille.
Le terrain de Krog Morvan est donné au jeune couple par les parents de Barbe. Une petite maison y existe déjà mais notre grand-mère veut une maison neuve plus moderne et confortable. L'ancienne maison est rasée et je suppose que les pierres ont été récupérées pour bâtir la maison actuelle.
Jozeb s'attelle à la construction de sa nouvelle demeure, aidé dans son entreprise par son beau-frère Louis Marie Caurant. Il s’endette auprès de celui-ci pour réaliser les rêves de Barbe.
A l'époque de sa construction, les fermes dont celle Kerbloc'h ont un toit de chaume, seules les propriétaires aisés comme ceux de Lindorum ont un toit en ardoises. La maison de Krog Morvan aura non seulement sa toiture ardoisée mais également un plancher au lieu de la terre battue et luxe suprême on y accédera par des marches en pierre qui faisaient rêver la petite Marie Perron chaque fois qu'elle s'y rendait.
Quand Jozeb et Barbe s'y installent, la maison n'est pas terminée. Au sous-sol, il y a une grande pièce séparée en deux parties par une cloison, d'un côté la cuisine et de l'autre l'étable. Grand-mère prépare les repas dans une petite cuisine en bas mais il n'y a pas d'escalier et il faut passer par l'extérieur pour accéder à la pièce du haut où la famille mange et dort en attendant que le grenier soit également aménagé
La vie s'écoule paisiblement à Krog Morvan. Jozeb se déplace pour aller vendre les vaches des fermes voisines. Il aura quelque fois une vache ou deux dans l'étable mais son travail consiste surtout à conseiller et à évaluer le prix des vaches que les fermiers du voisinage veulent vendre dans les foires. Il touche sa commission sur la vente réalisée. Il fait les marchés aux alentours du Faouët et ira même jusque Rostrenen. Il a installé des ruches, récolte le miel et je crois aussi fabrique du chouchenn. Il aime ce travail avec les abeilles. Il les connaît bien et elles aussi puisqu'elles viennent sur lui et ne le piquent pas.
Barbe s’occupe de la vie de la maison et avec ses cinq enfants, elle ne chôme pas ! Il n'y a, bien sûr, pas d'eau courante et il faut aller chercher l'eau dans la rivière en contre bas du champ derrière la maison. Je ne crois pas qu'il y avait un puits. C'est aussi, dans la rivière, au fond du terrain que se fait la lessive. On y trempe le linge et surtout les draps puis on le savonne en frottant et en le battant avec « le battoir ». On étale le linge enduit de savon sur le champ et on le laisse ainsi sécher au soleil. Quand il est sec on le rince bien avant de le remettre à sécher. Le linge est bien blanc…pas comme maintenant me certifie maman
Barbe a gardé son caractère bien trempé et malheur à l'imprudent, l'impudent qui lui chercherait des noises !! En ce jour d'été, peut-être 1935, les enfants de Krog Morvan et sans doute aussi ceux de Lindorum sont sagement assis sur le bord du fossé pour regarder passer la moissonneuse traînée par un cheval. Celui-ci mène la machine seule, suivis par les hommes des villages qui suivent en chantant. L'été est chaud …le travail pénible…et le cidre bon !!!! Bref, la sécurité n'est pas à l’ordre du jour de ces braves hommes. Le cheval s'emballe …et la machine manque de se renverser sur les petits. Barbe a tout juste le temps de les attraper …............... Le pire a été évité mais maman se souvient encore de la colère monumentale de notre Grand-mère. Il faut se dire qu’élevée dans un bistrot, elle avait de quoi tenir tête à quelques poivrots !!!
Le soir, en hiver, ils vont « filajer ». Filaj, c'est le nom breton pour parler des « veillées ». C'est le moment où on se retrouve entre voisins pour partager les nouvelles du pays, pour raconter les vieux contes et les légendes de Bretagne.On y parle de Marion la brigande, celle qu'on menace d'appeler quand les enfants ne sont pas sages ! Mais aussi de Philippe Le Normand, le vieux prophète qui a prédit que le jour où tous les arbres de la route de Pontivy seront tombés ce sera la fin du monde ou de la Dame Blanche qui erre sur les chemins et effraie les jeunes qui vont au bal. Les anciens certifient l'avoir rencontrée sur la route et malheur à l'imprudent qui croise son chemin !
On y chante les chansons et les gwerzhoù et sans doute aussi les chansons françaises ramenées des tranchées de la grande guerre. On y boit une bolée de cidre en mangeant des châtaignes ou des galettes. Les hommes fument la pipe ou chiquent le tabac carotte (grand père était un adepte de ce fameux tabac carotte !) et les femmes tricotent, crochètent ou reprisent. Pas question pour elles de rester inactives. Quelque fois, Jozeb et Barbe reçoivent autour de la grande cheminée à Krog Morvan, d'autres soirs ils vont à Lindorum ou à Brancardic ou encore à Kerbloc'h.
Les enfants assistent aux veillées, ouvrent grand yeux et oreilles …..........mais pas la bouche !!! Ils n'ont pas le droit à la parole devant les adultes.
Krog Morvan fait partie de la trêve de Saint Adrien et le jour du pardon, toute la famille part en empruntant le sentier qui mène de Krog Morvan en passant par le village de Gernevez Rouzenn (Gerne Rouzenn) jusque la vieille chapelle. On y retrouve les voisins, les amis du Faouët et c'est l'occasion de faire la fête après la messe du matin et les vêpres. On piquenique tous ensemble et on montre son adresse aux différents jeux.
Ils se rendent aussi à Meslan voir Marie-Mathurine qui vit à présent chez sa fille Marie-Jeanne, pour le pardon de saint Georges, petite chapelle située non loin du village, à travers champ. Ils prennent la « micheline » à la gare du Faouët. La grande expédition et les enfants sont certainement ravis de partir en voyage................... même si Meslan n'est qu’ à sept kilomètres du Faouët. Messe le matin puis vêpres l'après-midi, matin puis vêpres l'après-midi, visite bien sûr au cimetière sur la tombe du grand-père Louis.
Marie-Mathurine a préparé des crêpes et chacun se régale !Seule, Bernadette ne participe pas vraiment aux agapes ! Elle est malade dans la micheline et en arrivant au Cosquer, on la couche dans le lit de sa grand-mère. Du coup, elles, la grand-mère et sa petite fille, restent toutes les deux à la maison. Pour l'occuper, Marie-Mathurine lui montre les médailles et les décorations du Tonton Etienne. Un moment de complicité précieux pour l’aïeule et l'enfant.
Depuis la mort de sa maman Barbe Bomin, Barbe Caurant, notre grand-mère rejoint, chaque jour, la maison de ses parents à Restalgon pour s'occuper de François, son père. Elle l’aide pour les repas et s'occupe du linge et du ménage. Heureusement qu'elle est là !
Les relations entre François et sa bru Marguerite, la femme de Louis Marie sont exécrables et François se plaint d'être maltraité par sa belle-fille.
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Quand le malheur frappe à nouveau à la porte.
Nous sommes le lundi 11 mai 1936. …...quelques jours après l'arrivée au pouvoir du Front Populaire. La Bretagne « a la fièvre rouge » et s'associe aux différents mouvements sociaux.
Joseph et Pierre, les jumeaux qui n'en ont rien à faire des discussions des adultes sur les grèves ou congés payés, sont partis dénicher les nids. Grand-mère est contrariée et se plaint qu'ils vont revenir, encore une fois, avec des pantalons sales et déchirés !!!
Et soudain un cri. Elle tombe. Jozeb appelle à l'aide. Maman est non loin de la maison avec Soaz Jacq , la maman de Marie Péron. Elles entendent le cri et se précipitent. Barbe est sur le sol et Jozeb essaie désespérément de la réanimer en lui massant la poitrine avec de l'alcool.
Le Docteur Dréan finit par arriver et réussit à la réanimer mais Barbe ne reconnaît plus personne et meurt d'une congestion cérébrale (terme utilisé à l'époque). Elle aurait eu 41ans dans quelques mois !
Notre Grand-mère, Barbe Caurant est inhumée au Faouët et je me souviens bien d'être allée avec maman sur sa tombe lorsque j'étais petite. Une simple croix de bois blanc et un entourage en bois comme d'ailleurs toutes les tombes du cimetière à l'époque. Seuls les notables avaient des tombes en granit et des monuments imposants.
Après les obsèques, toute la famille se rend à Restalgon dans la maison des grands parents Caurant. François est effondré. Sur la tombe de sa fille il s'est écrié « Ma pauvre petite fille qui sera le prochain à venir à côté de toi et qui s'occupera de moi à présent ». Jozeb aussi est désespéré. L'avenir s'annonce bien sombre et bien compliqué pour la famille. Il propose à son beau-père d'unir leurs solitudes. François viendra manger chaque jour à Krog Morvan et gardera les petits en son absence.
Jozeb rentre avec les enfants à Krog Morvan en disant à son beau-père qu'il l'attend pour le repas du soir. En arrivant, grand père Jozeb se rend compte qu'il lui manque du sel et envoie Pierre en chercher à la petite épicerie de Restalgon. Sur le sentier du retour, celui-ci croise une voisine qui lui dit de courir chercher son père car son grand père est mort. Pierre lui répond que ce n'est pas « grand père qui est mort mais ma maman qu'on a enterrée cet après-midi ».
Que s’est-il passé ? La vérité appartient à François. Après le départ de Jozeb et des enfants, il a pris une masse et est parti casser des pierres à la carrière juste en face de chez lui. Un pan de falaise s'est effondré et l'a enseveli. Suicide, besoin de taper, de crier pour essayer d'exorciser son chagrin ? On ne le saura jamais mais la vie de Jozeb vient de basculer. En perdant son beau-père il perd à la fois un allié et un soutien. Il doit désormais faire face tout seul et le sort continue de s'acharner sur lui.
François est enterré quelques jours après sa fille. Jozeb accuse le coup, douloureusement. Il a 54 ans et reste seul avec ses cinq enfants de 15, 12, 8 et 5 ans. Il s'organise comme il peut et la fierté l’empêche de demander de l'aide. Marie reste à la maison pour s'occuper de ses frères et sœurs.
Ce ne fut certainement pas facile, à quinze ans de se retrouver en charge d'une maison et de quatre jeunes enfants. Elle espère que la vie sera moins difficile pour eux et encourage Bernadette qui aime l'école à continuer à bien travailler et lui promet qu'elle pourra, elle, faire des études. Sa présence, à la maison, atténue le chagrin des deux petites qui très vite assimilent leur grande sœur à leur maman qui manque tant.
C'est le moment que choisit Louis Marie, le beau-frère de Jozeb pour réclamer le remboursement de sa dette. Pauvre Jozeb, comment le pourrait-il ? Il a ses cinq enfants à nourrir et est aussi moins disponible pour courir les foires et exercer son métier.
Mais Louis Marie, poussé par son épouse Marguerite, insiste et petit à petit, la situation entre les deux beaux-frères s'envenime. La maison est mise en vente au tribunal de Lorient. Jozeb refuse de signer quoi que ce soit et personne ne se précipite pour racheter la maison d'un malheureux veuf avec cinq enfants !
Finalement, c’est Antoine Violo, qui habitait à la gare et connaissait bien Jozeb , ému devant cette situation, qui décide de racheter la maison et les terres de Krog Morvan. Il s'engage à le laisser y vivre jusque la fin de ses jours. Il tiendra parole et grand-père demeurera à Krog Morvan jusqu'à ce qu'il ne puisse plus y vivre seul et qu'il vienne habiter chez nous au Patro. Je suppose qu'il devait payer un loyer mais c'est une question que j'ai oublié de poser à maman..............et malheureusement, à l'heure de la relecture de ce texte, maman n'est plus là pour me répondre !
Avec le temps, Grand père Jozeb finira par pardonner et se réconcilier avec son beau-frère Louis-Marie mais refusera jusqu'au bout de sa vie, de revoir sa belle sœur Marguerite qu'il rend responsable, à juste titre sans doute, de la perte de sa maison et il aura ces mots terribles
« Cette maison tombera en ruine.Les morts me vengeront ».
Maman a souvent raconté cette histoire à ses petites filles, Marine et Barbara et pour elles quand elles parlent de Krog Morvan, » c’est la maison maudite » ! Il est vrai que cette maison a été vendue et revendue, elle a brûlé. Elle vient d'être rachetée par un couple d'anglais, sans doute pour la louer !
Trois années passent, rythmées par les saisons, la messe du dimanche et les visites au cimetière sur la tombe de leur maman. Marie a à présent 18 ans. C'est une belle jeune fille appréciée de tous. « Une sainte » comme disait son amie Anne-Marie Vaussy qui continuera à écrire à maman jusque-là fin de sa vie. Elle est morte, il y a quelques années dans sa maison de retraite à Lille.
Le 11 Janvier 1939, Marie-Mathurine, la maman de Jozeb s'éteint à 81 ans. Depuis plusieurs années, elle avait quitté le Cosquer et s'était installée à Rosguillou en Meslan chez sa fille Marie-Jeanne et son gendre Vincent Péron
Quand Vincent et Marie-Jeanne décéderont à leur tour, les restes de Louis et Marie-Mathurine seront mis dans le caveau de Vincent et Marie-Jeanne. La tombe en granit rose y est toujours sous le nom de Famille Nicolas-Péron. Les petites Bernadette et Fine n'assistent pas aux obsèques. Je pense que Marie, Pierre et Joseph ont dû, eux accompagner leur père.
Le dimanche 11 Février 1939, soit un mois après le décès de sa grand-mère, Marie qui est allée à la messe de 9 heures au Faouët revient à la maison en se plaignant d’un violent mal de tête. La douleur ne passe pas et devient de plus en plus forte. Ses joues sont rouges et elle a une forte fièvre. Le lundi, Jozeb appelle le médecin du Faouët, le Docteur Dréan. Celui-ci est inquiet et n'arrive pas à poser un diagnostic sûr ou plutôt craint d'avoir à annoncer une terrible nouvelle.
Devant l’aggravation de l'état de la malade, il décide de demander l'avis du médecin de Gourin, le Docteur Loheac.
Celui-ci arrive à Krog Morvan. La fièvre a encore montée. Marie crie de douleur dans son lit….par moment ce sont de véritables hurlements qu'elle pousse , elle vomit et les petits, terrifiés, assistent à l'agonie de leur grande sœur.
Le Docteur Loheac comprend vite que Marie est perdue. Il se tord les mains (maman se rappelle ce geste et c'est bien émouvant de la voir le refaire quatre-vingt ans après). Il sort avec grand-père et lui explique que sa fille va mourir, il ajoute que ça vaut mieux pour elle car elle resterait très handicapée mentalement.
Au moment de mourir, Marie s’accroche désespérément au cou de son père en criant qu'elle veut bien mourir mais elle veut que son papa vienne avec elle.
Marie meurt en présence de ses frères et sœurs, le jeudi 16 Février 1939 d'une méningite cérébro-spinale. Elle n'avait pas 18 ans.
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La vie après...
Pendant la seconde guerre mondiale.
Quand maman raconte, ces jours terribles, ces années désespérées qui ont suivi la mort de Marie, l'émotion est toujours aussi forte. Elle m'a raconté des centaines de fois cette mort, depuis ma petite enfance quand à la Toussaint, je l'accompagnais sur la tombe de Marie. Ça l'a poursuivi toute son existence et a ancré en elle une peur qui ne l'a jamais plus quittée.
Marie, c'était la maman de substitution. Elle gérait la maison en l'absence de grand père. Sa mort a cassé les quatre autres enfants qui restaient à Krog Morvan.
Grand père sombre dans un profond désespoir. Chaque dimanche, il se rend sur la tombe de Marie et ses enfants le voit s'agenouiller et pleurer et crier « Pourquoi elle, pourquoi pas une des deux petites ». Sans commentaire, les dégâts sur Maman et sur tata Fine seront malheureusement irréparables !
Joseph et Pierre ont à présent quatorze ans et la vie est bien dure pour tous, d'autant que la seconde guerre mondiale vient d'éclater. Ils sont placés pour garder les vaches à Keranval. Ils ne rentrent pas le soir à Krog Morvan. Grand père a expliqué qu'il devenait « fou » dans cette maison qu'il ne supporte plus. Il part vendre ses vaches dans les foires et rentre tard dans la nuit. Maman est seule avec Fine et s'occupe de sa petite sœur. Le réconfort, c'est à Kerbloc'h qu’elles le trouvent auprès de Soaz la maman de Marie, Bernadette, Jean et Madeleine...mais surtout la petite Marie qui aime tant venir voir son tonton Jozeb.
A treize ans, Bernadette doit à son tour quitter l'école et gérer la maison en l'absence de son papa qui part très tôt le matin et revient souvent bien tard le soir. Fine est très souvent malade et est sujette à de grosses crises de colère. Grand père cède devant ses cris. Nous sommes en pleine guerre, avec son lot de peur, d’angoisse, de méfiance et de privations.
Seule dans la maison, maman entend sa grande sœur qui gémit dans le lit. Nombre de fois, elle défera ce lit pour la chercher !! Moments noirs où la peur s’infiltre profondément dans le cœur d'une petite fille. Malheureusement, les psychologues n'existent pas. Cette souffrance, nos parents nous la transmettront : peur de l'abandon, angoisse face à la maladie, difficultés pour assumer la paternité........!!!! Nous portons tous au fond du cœur, ces blessures profondes laissées par la mort de notre grand-mère et surtout de Marie. Toute sa vie, Jozeb refusera d'évoquer avec maman et avec ses autres enfants, le souvenir de sa femme et de sa fille. « Ça me fait trop de mal » répondra -t-il à chaque question sur le sujet.
Malgré le chagrin, la vie poursuit son cours, souvent douloureuse, en cette période de guerre. Les bombardiers alliés survolent le Faouët et les enfants de Krog Morvan, Lindorum et Kerbloc'h regardent l'horizon rouge au-dessus de Lorient qui brûle.
Les allemands sont au Faouët et la Gestapo occupe l'école Sainte Barbe. Les maquisards sont poursuivis sans relâche et exécutés après torture dans les caves de l’école. Une rafle a lieu, sur la place en mai 1944et les arrestations se succèdent en même temps que les exécutions.
On retrouvera de nombreuses fosses communes, de charniers autour du Faouët.
Rafle sur la place du Faouët en mai 1944
s Bernadette et Fine sont seules à la maison. Un jour un soldat allemand entre et exige du beurre. Bernadette écarte les bras et se place devant l'armoire et dit qu'il n'y a pas de beurre. Sans doute, ce soldat a-t-il eu pitié de cette petite fille de 14 ans !! Il repartira sans insister. Comme maman se plaisait à le dire « ils n’étaient pas tous mauvais » !
C'est l'époque aussi du marché noir. Jozeb fut, un temps, surveillé et soupçonné par les résistants avant qu'ils ne se rendent compte de leur erreur. C'est un homme d'un village voisin qui sera fusillé, un soir, en compagnie de sa fille aînée. Les temps étaient bien cruels, et la plus jeune des filles, seule survivante de la famille, suivra seule le corbillard jusqu'au Faouët. Malgré la pitié, personne n'a osé l'accompagner. Notre grand-père a traversé deux guerres et gardera à jamais cette hantise de l’invasion et de la menace jusqu’au bout de sa vie.
Au carrefour des routes de Quimperlé et du Cours Carré se trouve une grande et belle maison en pierre. Cette bâtisse imposante qu’on appelait quand j’étais enfant « la maison Le Bris », du nom de son propriétaire, l’ancien directeur de l’école publique, se voit de loin. Grand-père expliquait à Marie Barz que cette maison ne lui plaisait pas du tout. En cas de conflit, elle était trop exposée, trop visible des armées ennemies. Nous étions pourtant dans les années 60 !
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Contre vents et marées.
Je ne sais pas quand Joseph et Pierre quittent Krog Morvan pour la capitale.
Pierre a rencontré Bernadette Madec de Guiscriff. Il l'épousera en 1944. Ils sont très jeunes tous les deux et trois enfants naîtront de leur union. Marie-Thérèse qui nait le 15 Aout 1945 est la première petite fille de Jozeb et nul doute qu'il en fut très heureux. Une petite fille, c'est beaucoup mieux. Elle ne fera pas la guerre.
Roger puis Christian sont venus agrandir la famille de Pierre et Bernadette.
Malheureusement le bonheur n'est plus au rendez-vous et le couple de Pierre et Bernadette ne s'entend plus. Il semblerait que Jozeb soit venu voir ses enfants et petits-enfants à cette époque. Joseph, le frère jumeau de Pierre, est malade mais c'est la situation de la famille de Pierre qui préoccupe Grand père. Le couple finira par se séparer et Bernadette restera seule à élever ses trois enfants.
Comment Jozeb a-t-il vécu cette séparation ? Douloureusement certainement. Il accueille chaque été Bernadette et ses enfants. Il est profondément heureux de leur présence..................mais ce serait bien que ce soit eux qui nous le racontent
A leur tour, Jojo et Raymonde se sont mariés et installés dans la région parisienne. Sont-ils déjà aux Mureaux ? Jozeb est monté les voir lorsque tonton Joseph est resté malade. Je crois qu’il y est allé lors du décès de leur petite fille Monique mais je n’en ai pas la certitude. Tonton Joseph et Tata Raymonde auront treize enfants. La vie et la distance ont fait que nous ne nous sommes ni connus ni rencontrés, à l’exception de Christiane qui est venue en vacances à KrogMorvan avec tata Bernadette. Je m’en souviens vaguement. Jean-Claude et Daniel sont venus au Faouët mais bien plus tard et Grand-père n’était plus là pour les accueillir.
Jean-Claude, Daniel, Christiane et Jeannine
En 1948 Bernadette quitte Krogmorvan pour aller travailler pendant une année dans une ferme de la Beauce. Elle y gardera de bons souvenirs avec sa copine Paulette et le jeune prisonnier allemand Erich. Paulette et Bernadette ont 18 ans, Erich 16 et sûrement une forte envie d'oublier les affres de la guerre. Pendant ce temps Jozeb reste seul avec sa petite dernière Joséphine (notre tata Fine).
En 1946, Bernadette est rentrée de Beauce et de Paris où elle se trouvait au moment de la naissance de Christian. Elle a trouvé du travail auprès des instituteurs de l'école publique des filles. Elle y travaillera jusqu'à ma naissance en 1951.
Maman s'occupe du linge, du ménage et des enfants du couple. Une profonde affection s'installe entre elle et les enfants et surtout avec Annie, la plus jeune. Grand-Père a donné son accord, à condition que maman puisse assister à la messe le dimanche. Monsieur et Madame Oriot sont des gens intelligents et ouverts ….......et bien-sûr, ils sont d'accord. Le dimanche matin, maman va à la messe et l'après-midi, elle rejoint Grand-Père à Krogmorvan.
En 1947, elle accompagne la famille en vacances à Quiberon. Sans doute, la première fois pour elle, de découvrir la mer. Elle y découvre aussi …les artichauds et sa première expérience est mauvaise !!!! Elle se sent un peu perdue devant la complexité de ce légume qui, de surcroît, a des poils !!! Son séjour à Quiberon restera un superbe souvenir pour maman
Marie Oriot deviendra ma marraine et c’est elle qui apprendra à maman à coudre toutes ces petites brassières que je garde encore précieusement en souvenir. Maman, fatiguée par sa grossesse, en a versé des larmes pour les réussir……mais elles sont toujours là, cousues à la main, à tous petits points.
Le 31 mars 1948, Bernadette est demoiselle d’honneur au mariage de son amie Jeannette Rivoal. C’est à cette occasion qu’elle rencontre son futur mari, mon futur papa : Louis Giquel. Ils sont beaux tous les deux, ils se plaisent
Ils se marient le 12 Juin 1950 à Le Faouët. C’est un double mariage. Francine, la sœur de papa épouse Jean Pouget. Pierre et Joseph, les frères de maman n’assistent pas au mariage, par contre Joséphine est présente sur la photo. Jozeb est fier de sa fille ! « Tiens-toi droite et lève la tête » lui dit-il. Une « Nicolas » ça vaut bien un « Giquel » !!! Non Mais !!!
La fête durera une semaine !!!!! Le bal et le repas sont chez Pauline Le breton, le café-restaurant de la gare. Le bâtiment, restauré, existe toujours !
Puis c’est au tour de la petite dernière de se marier. Tata Fine épouse Jean Robic. Elle lui donnera cinq fils : Louis, Olivier, François, Jean et Gilbert. Cinq césariennes à une époque où c’était une opération à hauts risques.
Le mariage ne fut pas heureux. La vie de tata Fine fut douloureuse. En 1958, les assistantes sociales lui imposent de divorcer ou de se séparer de ses enfants. Louis surtout dut subir la maltraitance de son papa.
Olivier sera placé chez nous, le temps que soient réglés les problèmes liés au divorce. Pour Liliane et moi, ce malheur fut source de bonheur. Nous avions un petit frère, tout blond ………………et tout sauvage. Un mordeur professionnel notre petit frangin !!!!!Mais que de bons moments passés avec lui………………et quel chagrin quand il est reparti vivre avec sa maman. Olivier partagea notre vie pendant trois ou quatre ans. Ce fut un déchirement pour maman et papa et aussi pour nous. Je sais que cette blessure est toujours présente chez Olivier. Mais pour sa maman, c’était insupportable aussi d’être séparée de ses enfants. Tant et tant de souffrance !
Après le départ de ses enfants Grand-père reste seul à Krog Morvan. Marie Barz me certifie qu’il n’était pas malheureux. C’était un solitaire, plus l’aise peut-être avec sa vache, ses poules et ses abeilles qu’avec les humains !
Grand père avec sa vache Ruzig
Moi, je fais mon apparition le 2 septembre 1951. L’accouchement se déroule de manière catastrophique et c’est grand-père qui paiera la pénicilline nécessaire pour sauver la vie de maman.
« Sauvez ma fille, Docteur, j’en ai déjà une au cimetière » ! Deux génisses plus tard et ………me voilà, moi, celle qui est à lui, celle qu’il a payée !! Puis le 9 mai 1954, voici Liliane qui débarque « ma filhorez » comme l’appelle grand-père. Nadette, la petite dernière n'apparaîtra qu’en 1963.
Pendant l’été, tata Bernadette venait avec Marie-Thé, Roger et Christian chez grand-père à Krogmorvan. Liliane et moi y allions souvent et nous y retrouvions aussi Marie, Dette et Madeleiine ainsi que Simone Du, la copine de Marie-Thé.
Pour Liliane et moi, il nous reste le souvenir des journées passées avec eux à Kerbloc'h, des merveilleuses robes que Tata Bernadette nous apportait chaque été quand elle venait ! Les plus jolies robes de mon enfance…merci tata !
Pour être honnête, je trouvais ça bien quand les cousins y étaient mais autrement............. !!! il fallait rester assis sur le banc, pas le droit de se salir, pas le droit de courir et interdiction d'approcher des ruches. Maman avait toujours peur qu'il nous arrive quelque chose !!!
Tonton Pierre, lui, rencontré Marie Le Breton. Tata Marie lui donnera trois enfants : Brigitte, Jean-Pierre et Béatrice. Brigitte se rappelle d’avoir rencontré Grand-Père quand elle était petite. Liliane et moi n’avons pas connu nos trois cousins quand nous étions enfants et les souvenirs que nous partageons avec eux sont plus tardifs.
Les années En 1971, tata Marie décède et laisse derrière elle ses trois petits. Encore des vies bouleversées. C’est surtout après le décès de leur maman, que nous apprendrons à connaître nos cousins. Quelle chance de les avoir !
1956 à 1963 sont des années difficiles pour mes parents et pour Liliane et moi. En 1957, papa est hospitalisé l’hôpital de Bodélio à Lorient. Il est atteint d’une tuberculose déjà bien avancée et nous a contaminé Liliane et moi. Après avoir, comme son père et son frère, exercé le métier de tailleur de pierres, il est devenu facteur, à ma naissance, quand l’entreprise a fermé. Il n’est pas titulaire de son poste et ne bénéficie donc d’aucune aide de la poste, pas d’indemnités sécu à l’époque. Période noire et heureusement que grand-père et nos autre grands parents Giquel sont là pour soutenir et aussi pour nous garder quand maman allait faire des ménages à droite et à gauche. Nous, nous avions à manger……pas elle !! C’était l’époque des purées de carottes !! Papa restera hospitalisé toute une année et ensuite partira pour trois ans à Paris pour obtenir sa titularisation. Je crois qu’Olivier est chez nous à ce moment-là.
Les jours de « Foire » au Faouët, Grand-Père arrivait à la maison, avec un grand sachet de gâteaux de toutes les couleurs, des bleus, des roses…Il vidait le sac sur la table de la cuisine et moi, je regardais, émerveillée ces gâteaux aux couleurs d'arc en ciel ! Un poète, notre Grand-Père.
En 1963, papa est revenu de Paris et a repris son travail à la poste. Olivier, lui est rentré à Lanester et nous avons une petite sœur qui pointe le bout de son nez ! Voici Nadette qui débarque. A sa naissance, Grand-père réaffirmera, à cette occasion, qu’il préfère avoir des petites filles qui, au moins ne feront pas la guerre. Papa, quant à lui, assurera qu’il est absolument ravie de la naissance…………et en plus il a désormais deux « Bernadette », auprès de lui !!! ça ne l’empèchera pas de déclarer haut et fort que »quatre femmes dans la maison, c’est l’enfer pour le patron ». Pour la petite histoire,maman et moi avions choisi « Véronique » comme prénom de la petite dernière………….qu’on a toujours appelé Nadette !
Grand-père c'était un poète amoureux de ses abeilles et ...de ses poules. On dégustait le miel et les œufs mais jamais il n'aurait tué une de ses poules. Elles étaient les reines dans la maison ! Pour ce qui concerne les abeilles, la situation était un peu différente. La manière dont était fabriquée les ruches en osier, en Bretagne, ne permettait pas de récolter le miel sans tuer, hélas, les abeilles.
Et puis, un jour, Grand-Père a débarqué au Patro pour venir vivre avec nous. Je crois qu'il a pris seul, sa décision. Il a déclaré que la vie à Krog morvan était devenue trop difficile pour lui. Je ne sais plus en quelle année, il est arrivé chez nous. Je me souviens seulement que à l'été 1965, il est à la maison et nous fêtons les 20 ans de Marie-Thé. Il avait déjà plus de quatre-vingt ans. En 1963, notre petite sœur Nadette vient agrandir le cercle familial.
Au patro en 1964.
Nadette devant Grand-père.
Marie-Thé et moi, dans le reflet de la glace !!
Ce ne fut sans doute, pas facile pour lui de s'habituer à vivre en appartement après avoir connu ces longues années de solitude et d'indépendance. Il s'installa dans la grande chambre, au fond de l'appartement. Il y passait le plus clair de son temps, fuyant les disputes et le bruit.
Il venait quand même discuter avec Grand-Père Pierre. Les discussions tournaient souvent autour de la Grande Guerre ! C'était des discussions passionnées, en breton, evel just ! Chacun racontant, les horreurs vécues et se disputant pour faire reconnaître à l'autre que Verdun c'était plus terrible que la Marne ou le Chemin des Dames ! !!
Puis arrivait Papa avec La Résistance et le Maquis et là, les deux vieux, unis comme jamais faisaient front..........du pipi de chat, la seconde guerre mondiale à côté des tranchées de la guerre 14-18. D'ailleurs, hein, on les a vus, les jeunots en Mai 1940 !!! Même pas fichus de tenir leurs positions face aux boches !!!Bref, devinez qui finissait par battre en retraite ? Pauvre Papa !
Arrivé au Patronage, il s’indigne, quelque peu des méthodes éducatives de sa fille !!! Maman, faut bien reconnaître que tu avais la main leste !!! Entre moi qu’il avait payée et Liliane , sa Filhorez (filleule) ( il avait dû remplacer Job Le Meste, le parrain de Lili, absent le jour de son baptême). Bref, on ne touchait pas ses petites filles. Le scandale, le jour où il a découvert le « chat a sept queues » à la maison !!! Un martinet, non mais ça ne va pas ! « T 'es devenue un diaoul, toi, depuis que t'es mariée avec Giquel ». J'entends encore sa colère. L'action prévalant sur tous les beaux discours, le lendemain, il ne restait plus qu'un malheureux manche de bois, les lanières de l'instrument de torture ayant disparues ! Exit le martinet !
Chaque après-midi, Grand père grimpait à Sainte Barbe, tout en récitant son chapelet. Il avait avec lui sa photo de mariage et il appelait notre Grand-mère Perrine, comme sa propre Grand-mère. Regarde comme elle est belle Perrine. Pour être tout à fait honnête, je crois qu'il disait » comme il est beau Perrine ». Jozeb n'a jamais totalement maîtrisé la langue française.
Le matin et à quatre heures, il prenait un grand bol de café (une choulate) …...........et c'est ainsi que Nadette a appris à compter jusque au moins 10 !!!! Elle attendait qu'il y ait au moins dix sucres dans le bol pour prévenir maman !!!! Complicité de gourmands ?
Le 13 Janvier 1966, Grand-Père Pierre Giquel nous a quitté. C'était le compagnon de discussion de Jozeb. Ils avaient du plaisir à partager leurs souvenirs de la Grande Guerre et je pense que ce fut un coup difficile à assumer pour Jozeb.
Petit à petit, son esprit a commencé à divaguer..........un peu puis beaucoup ! En 1966, je suis partie en pension à Kerbertrand à Quimperlé et j'ai eu un mal infini à m'habituer à ce changement de vie. Je n’avais jamais quitté la maison et ce fut une période terrible pour moi. Je pleurais tout le temps. Grand père n'acceptait pas ce départ qu'il reprochait à maman. Il me disait « si tu as du chagrin, viens dire à Grand père, dis pas à ceux-là ». Il s'est imaginé que j'étais enceinte et qu’’on m'enfermait dans un couvent (Même en Bretagne, on connaissait les Magdalens sisters ?...........mais au moins, on savait l'emprise de l’église !!!)
La nuit, il hurlait dans son lit. Il voyait du feu autour de lui et tapait sur son lit avec son bâton. Il est vrai qu'il y avait un poêle à mazout dans sa chambre et que la nuit on voyait les flammes. Papa se levait et lui criait d'arrêter. Il se calmait puis recommençait. Terreurs dues à la peur dans les tranchées ? Nul ne le saura jamais.
Son état mental s'est dégradé de plus en plus. Une fois, on l'a retrouvé nu dans les escaliers du Patro, une autre fois, il transvasait ses excréments dans une bouteille en disant qu'il mettait son cidre en bouteille. Maman faisait sa toilette, aidée de Monsieur Ropers (un voisin).
Ce mardi 5 Décembre 1967, Grand-père a bu son café comme d'habitude mais comme il n'était pas très en forme, maman a dû le lui porter au lit. Monsieur Ropers est venu aider pour la toilette et c'est là que Grand-père s'est trouvé mal. Maman a appelé le Docteur Prigent (le père de Yann). L’abbé Lamour est également arrivé très vite. Grand-père a dit « il faut bien partir », il esquissé un signe de croix, fait un signe d’au revoir à maman. Le docteur lui a fait une piqûre pour abréger ses souffrances et notre grand-père est parti très vite après.
Le drap mortuaire fut drapé autour de la porte d'entrée du Patro. Pas d'animations ni dans la cour ni dans les escaliers. Tout le monde se déplaçait doucement. Grand-père fut installé dans la salle à manger. Tonton Pierrot était venu aider à dresser « la chapelle funéraire : des draps blancs furent tendus sur les murs entourant le lit mortuaire et les miroirs voilés. Les gens allaient et venaient pour lui rendre un dernier hommage et la cafetière tournait à plein régime !!!
Les obsèques eurent lieu le jeudi 7 décembre dans l'église du Faouët. Le temps était triste et froid. Le samedi, un épais tapis de neige recouvrira la place. Quand je suis rentrée de chez Mémée où j'avais dormi, le matin des obsèques, Marie-Thé et Roger étaient déjà arrivés. Grand-Père Jozeb fut sans doute un des premiers à être conduit à sa dernière demeure dans le nouveau corbillard de la commune. Mon autre grand-père, Grand-Père Pierre en 1966 et avait été transporté dans l'ancien corbillard d'antan............avec cheval !
Ainsi se termine l'histoire de la vie de notre Grand-Père. Quatre-vingt-cinq années d'une vie bien remplie, avec de gros chagrins mais aussi, il ne faut pas oublier des joies. L'image que je garde de lui est celle d'un homme solide, calme, ne s’énervant que rarement, en tous les cas, jamais contre ses petits-enfants. Il pouvait être dur, je crois et ne parlait jamais ni de lui, ni de sa vie. Il a essayé de raconter les épreuves et les terreurs vécues pendant la grande guerre..........mais la plupart des gens n’avaient plus envie de les entendre...........sauf une petite fille qui restait l’écouter et en oubliait ses vaches !!! Il n'était pas parfait bien sûr mais c'était notre Grand-Père et son histoire, en bien ou en difficile influe encore sous nos vies.
Mes grands-parents, mémée Giquel qui prenait tant soin de moi, grand-père Pierre qui m’a bercée avec des vieux contes bretons et grand-père Jozeb qui avait une présence forte et rassurante à mes côtés ont marqué mon enfance et mon adolescence d’une façon indélébile. Chacun, à sa manière m’a aidée à me construire et à devenir à mon tour grand-mère. C’est Jozeb qui m’a donné l’envie d’apprendre la langue bretonne et le désir de la transmettre. Ce n’était pas facile, pour lui, de communiquer vraiment avec nous, il n’a jamais été parfaitement à l’aise dans la langue française !
Je n’avais pas, je n’ai pas envie, que la trace de sa vie disparaisse en moi et aussi en vous. En écrivant son histoire, je pensais à chacun et chacune d’entre nous, ses petits-enfants. La vie nous a parfois malmenée. Certains gardent, au cœur des blessures profondes de leur enfance. Nous sommes une famille, sa famille et je vous transmets pour lui, cette tendresse dont nous avons parfois eu tant besoin.
Permettez-moi de terminer ce texte par les paroles d’une chanson de Mannick et Akepsimass :
« Il restera de toi
Une larme tombée
Un sourire germé
Sur les yeux de ton cœur ;
Il restera de toi
Ce que tu as semé
Que tu as partagé
Aux mendiants du bonheur.
Ce que tu as semé
En d’autres germera
Celui qui perd sa vie
Un jour la trouvera »
Neuze Kenavo ma zad kozh muiañ karet. Me ho kar !
Marie Pierre
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